Énergie & Recharge
Suisse: la plus ancienne centrale nucléaire du monde fonctionne malgré incidents

Malgré les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima qui ont bouleversé l’industrie nucléaire mondiale, elle continue de produire de l’électricité sans relâche. Une situation qui suscite l’inquiétude constante des populations environnantes et des organisations environnementales.
Installée en 1972 sur un îlot de la rivière Aar dans le canton d’Argovie en Suisse, la centrale de Beznau s’est forgée une réputation singulière : celle d’être l’installation nucléaire en fonctionnement la plus ancienne de la planète. Sa longévité est particulièrement remarquable dans ce secteur, puisqu’elle vient de célébrer son 53ème anniversaire.
Cette durée d’exploitation exceptionnelle est loin de faire l’unanimité, car l’installation, qui montre des signes évidents de vieillissement, a connu de multiples dysfonctionnements au cours des dernières décennies. Contrairement à d’autres nations comme la France, la législation helvétique ne fixe aucune limite temporelle à l’exploitation de ses réacteurs. Une centrale peut continuer à fonctionner indéfiniment tant qu’elle respecte les normes de sécurité en vigueur. Cette approche réglementaire soulève-t-elle des questions de complaisance ?
Beznau : un monument industriel à bout de souffle
Équipée de deux réacteurs à eau sous pression, Beznau totalise près d’un siècle de fonctionnement cumulé. Durant cette période, les instances de contrôle ont documenté plus de 90 anomalies entre 1995 et 2014. Ces événements sont évalués selon la classification INES (International Nuclear Event Scale), qui hiérarchise les incidents nucléaires de 0 à 7.
Le niveau 0 identifie des anomalies techniques sans impact sur la sécurité, tandis que le niveau 7 correspond aux accidents majeurs (comme Tchernobyl en 1967 ou Fukushima en 2011). Fort heureusement, à Beznau, la grande majorité des incidents répertoriés ont été classés au niveau 0, ne présentant aucun risque significatif.
Toutefois, certains événements ont particulièrement retenu l’attention, notamment celui survenu en 2009. Lors d’une opération de maintenance qui a mal tourné, deux employés ont été exposés à des radiations dépassant les limites annuelles autorisées, un incident classé au niveau 2. En 2015, l’analyse de la cuve du réacteur a révélé des imperfections de fabrication (micro-inclusions d’oxyde d’aluminium), entraînant une suspension d’activité jusqu’en 2018.
Plus récemment, au début de l’année 2025, une défaillance électrique a déclenché un arrêt d’urgence accompagné d’un dégagement de vapeur. Bien que sans danger radiologique selon Axpo Power SA, l’exploitant du site, cet incident a été suffisant pour raviver les craintes des communautés locales.
Le risque principal est structurel
Il serait néanmoins réducteur de juger la sûreté de Beznau uniquement sur le recensement de ces incidents, ce critère étant insuffisant pour une évaluation complète. En matière de sécurité nucléaire, le facteur déterminant reste l’intégrité des systèmes de confinement, particulièrement celle des composants considérés comme non remplaçables.
Le plus crucial d’entre eux est la cuve du réacteur, ce gigantesque cylindre d’acier qui contient les processus de fission nucléaire. Constamment soumise à un bombardement neutronique intense, la structure métallique se transforme au fil du temps : l’acier gagne en dureté mais perd en élasticité. Ce phénomène de fragilisation, bien que surveillé, demeure inéluctable.
Après plus d’un demi-siècle d’exposition aux radiations, les deux cuves de Beznau présentent une usure considérable par rapport à leur état d’origine. Face à un incident majeur, un choc thermique ou mécanique pourrait excéder la résistance de l’acier fragilisé, et leur stabilité structurelle pourrait être compromise.
Suite au désastre de Fukushima en 2011, qui a profondément marqué la conscience collective mondiale, des manifestations inhabituelles ont éclaté en Suisse, rassemblant jusqu’à 20 000 personnes exigeant la fermeture définitive de l’installation. En 2014, des militants écologistes de Greenpeace se sont introduits clandestinement sur le site pour réaliser une action médiatique questionnant la sécurité des infrastructures.
Le premier réacteur de la centrale devrait cesser ses activités en 2032, suivi du second en 2033 : Beznau aura ainsi fonctionné pendant 64 années, établissant un record absolu dans l’histoire de l’énergie nucléaire civile. La Suisse, qui ambitionne une décarbonation quasi-totale de sa production énergétique d’ici 2050, remplacera les 6 TWh générés annuellement par des installations solaires et éoliennes. Cette production, intrinsèquement variable, sera équilibrée par les capacités hydroélectriques du pays, qui assureront le stockage et la distribution selon les fluctuations de la demande. Il est remarquable de constater que Beznau aura, durant sa longue existence, produit de l’électricité sur une période excédant largement la durée de vie initialement prévue pour la plupart des centrales. Une véritable doyenne qui laissera ses détracteurs soulagés lorsqu’elle s’éteindra définitivement !














